On l’appelait Slavik

C’était plus facile que de prononcer son vrai patronyme : Wiatcheslav Vassiliev.

En 1968, il avait droit à son portrait dans Paris Match: il était alors – et il allait le rester une vingtaine d’années –, le décorateur parisien à la mode.
Un très large public, sans le savoir, a passé de longues heures dans les décors et les ambiances par lui imaginés.

Qui n’a jamais mis les pieds dans un des drugstores Publicis ? La déco flashy, avec de l’orange et du violet, des lumières intenses et des miroirs, c’était lui. Son travail ne s’est pas limité aux drugstores parisiens des Champs-Elysées, de Saint-Germain-des-Prés, de l’avenue Matignon, puis à ceux de la Défense et de Parly 2.

PLUS DE 400 LIEUX AMÉNAGÉS

Slavik, mort le 29 août à Paris, à l’âge de 94 ans, a d’autres réalisations à son actif. Il a signé l’aménagement de plus de 400 cafés, hôtels, restaurants et magasins, à Paris et dans d’autres capitales. Les décors de miroirs, de bois, d’ivoire et d’écaille des « pubs anglais » dont il réinterprète la partition à Paris, tels le Sir Winston et la London Tavern, c’est encore lui.

Toute une série de bistrots parisiens, de restaurants et de brasseries de prestige doivent leur identité à son style efficace, entre Art nouveau et Art déco : notamment L’Européen, face à la gare de Lyon, le Dôme, à Montparnasse, le Zeyer, place d’Alésia, le restaurant Chez Georges, à la porte Maillot…

Le sort de toute mode étant de se démoder, l’étoile de Slavik a pâli à partir de la fin des années 1980. Certaines de ses réalisations ont été démantelées. Ce fut le cas de l’aménagement du restaurant panoramique au deuxième étage de la tour Eiffel, le Jules Verne, qu’il avait transfiguré en 1983, avec un design en noir et blanc et des chaises en acier reproduisant l’ossature de la tour.
Inscrites à l’inventaire du Mobilier national, ces chaises, qu’il avait fait réaliser par le fondeur Jacques Esclasse, ont été dispersées aux enchères en 2012, comme les autres pièces.

D’ABORD AU THÉÂTRE

Slavik avait également transformé, en 1996, deux autres restaurants de la tour situés au premier étage, la Belle de France et le Parisien, avec un décor s’inspirant des montgolfières, dont les éléments ont eux aussi fini aux enchères en 2012.
D’autres lieux sur lesquels il avait travaillé ont changé de forme ou d’affectation, comme le Pub Renault aux Champs-Elysées, qui avait illustré en 1962 le culte de l’automobile et le concept du « magasin à vivre », devenu l’Atelier Renault en 1999, ou bien comme le drugstore Saint-Germain, vendu en 1996 au créateur italien Giorgio Armani.
Rien ne prédestinait Slavik à tenir pour un temps le rôle de « pape » de la décoration des restaurants et autres lieux noctambules parisiens.

Né le 6 janvier 1920 à Tallinn, au sein d’une famille russe, il arrive en France à l’âge de 9 ans, au terme d’un périple en Finlande et en Allemagne.

Après des études de médecine abandonnées au début de la guerre, ses aspirations artistiques le conduisent vers l’Ecole nationale supérieure des arts décoratifs puis à l’Institut des hautes études cinématographiques (devenu la Fémis).
Mais c’est d’abord au théâtre qu’il commence sa carrière.
Il crée des décors pour le Vieux-Colombier, l’Opéra de Lyon, le Festival d’Aix-en-Provence et collabore aux ballets du danseur et chorégraphe Serge Lifar. Le Mobilier national lui commande des tapisseries pour les manufactures d’Aubusson et des Gobelins ; l’architecte Jacques Adnet des meubles et le cinéaste Marcel Carné des décors…

AVEC MARCEL BLEUSTEIN-BLANCHET

Après-guerre, les Galeries Lafayette lui confient ses vitrines et étalages. Là, il se permet des audaces qui le font remarquer par le publicitaire Marcel Bleustein-Blanchet.

Le fondateur du groupe Publicis le nomme en 1954 responsable du service d’esthétique industrielle et lui confie la décoration du premier drugstore français, celui des Champs-Elysées, qui ouvre ses portes en 1958.

Ce nouveau concept de magasin, venu des Etats-Unis, ouvert tous les jours jusqu’à 2 heures du matin, où l’on peut se restaurer et où l’on trouve de tout – du tabac à la presse en passant par les brosses à dents, lames de rasoir, parfums, disques, livres et autres produits de luxe ou de première nécessité – va devenir un des emblèmes de la société de consommation. Et propulser sur le devant de la scène parisienne leur décorateur, Slavik, qui aimait comparer le « drugstorien » à une boule de billard électronique, « catapultée d’un plot à l’autre, projeté du bar à la librairie, de la librairie à la boutique cadeaux… ».

Quelques affaires signées Slavik :
L’Européen, 21 bis, boulevard Diderot, 75012 Paris
Le Dôme, 108 Boulevard du Montparnasse, 75014 Paris
L’Accent Corse, 123, rue de la Convention , 75015 Paris
Le Zeyer, 62 rue d’Alésia, 75014 Paris